[PRESSE] Conséquences de la consommation de pornographie dans le couple
J’ai eu la joie d’intervenir à nouveau pour RCF Savoie fin avril dans le cadre d’une série consacrée à la pornographie.
Retrouvez dans cet article-chronique mes constats et réflexions sur la consommation de pornographie dans le couple !
Ecouter la chronique sur RCF : cliquer ici
Maud Chabert d’Hières : Pour aborder notre thème du jour « Couple et Pornographie », j’ai la joie de retrouver aujourd’hui la conseillère en vie affective et sexuelle Anne-Sixtine Pérardel, que nous avions reçue également pour notre chronique sur le thème « Famille et Pornographie ». Bonjour Anne-Sixtine !
Anne-Sixtine Pérardel : Bonjour Maud !
MCH : Je rappelle que vous intervenez dans les établissements scolaires de toute la France sur les sujets liés aux relations, à la construction personnelle et à la sexualité. Vous avez publié le livre Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir aux éditions Artège sur l’estime de soi, et tenez le blog LibertéPourAimer.com. En lien avec notre thème du jour, vous avez fondé il y a trois ans l’association Déclic – Sortir de la pornosphère, assodeclic.com, avec pour objectif de proposer un regard professionnel sur les conséquences de la pornographie, afin d’en faire un enjeu de santé publique.
Que voudriez-vous nous partager pour commencer sur ce sujet « Couple et pornographie » ?
ASP : J’aimerais commencer en vous parlant de ces personnes en couple qui viennent me voir dans mon cabinet. Ce qui est frappant quand elles viennent pour parler de leur sexualité, c’est que la pornographie est plus souvent source de blessure, d’incompréhension, de décalage entre les conjoints que ce qui était voulu au départ en en consommant. Certains veulent pimenter leur sexualité grâce à la pornographie, d’autres sont habitués à en consommer et ne voient pas forcément l’impact que cela peut avoir sur leur manière de vivre leur sexualité. Le seul cas où dès le départ, la pornographie pose un problème dans le couple, c’est ceux viennent me consulter parce que l’un et/ou l’autre du couple est addict à la pornographie. Dans tous les cas, ils finissent par se dire que la pornographie n’est pas une aide pour s’aimer, et viennent consulter pour être REELLEMENT aidés dans leur vie de couple…
MCH : Généralement, vous diriez que c’est l’homme qui en consomme, et la femme qui subit sa consommation ?
ASP : Il est vrai que deux tiers des consommateurs de pornographie sont des hommes. Mais n’oublions pas que selon les statistiques de Pornhub, l’un des sites les plus importants de pornographie, le dernier tiers de consommateurs sont des femmes… Dans mon cabinet, j’en vois aussi qui sont addictes, même si c’est plus tabou !
Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de vous partager trois points de réflexions tirées de mon expérience d’accompagnement de couples en souffrance sur ce sujet de la pornographie. Mon objectif est qu’à la fin de cette chronique, si cette problématique vous concerne, vous ayez des clés pour orienter peut-être différemment votre vision, et permettre à votre couple de vivre un amour profondément épanouissant et durable !
MCH : Que remarquez-vous en premier dans la pornographie qui peut abîmer la relation de couple ?
ASP : Aux Etats-Unis, une statistique proposée par un organisme de médiation familiale a établi que la consommation de pornographie était, parmi les raisons qui amènent à un divorce, celle qui avait augmenté de plus de 300 % en l’espace de 10 ans. 300% d’augmentation du nombre de personnes qui dénoncent les conséquences de la pornographie dans leur couple ! Ce qui est dénoncé ? L’infidélité et la trahison ressenties à force d’avoir la pornographie comme tiers dans leur relation. Les émotions sont très puissantes lorsque la pornographie vient s’immiscer dans l’intimité du couple. Nombreux sont ceux qui dénoncent un climat de confiance rompu en découvrant la consommation de leur conjoint, ou de confiance qui petit à petit s’érode au fil de la consommation de porno dans le couple… J’entends souvent la colère, le dégoût, la tristesse, l’incompréhension face à ce qui plaît à l’autre et auquel on ne correspond pas forcément… C’est d’ailleurs une des raisons qui fait que l’estime de soi du conjoint qui découvre la consommation de l’autre est extrêmement blessée : « Je ne lui suffis pas », « S’il a besoin d’aller voir ailleurs, c’est que je ne suis pas désirable »…
MCH : On comprend pourquoi il y a un sentiment d’infidélité, mais pourquoi la pornographie abîme-t-elle autant la confiance dans le couple ?
ASP : La confiance est le ciment du couple. En acceptant la pornographie dans son quotidien, on remarque que sa consommation est associée très souvent à une baisse de communication et à une habitude de mensonge. La pornographie est une consommation associée à la honte : honte de soi d’apprécier une sexualité violente, honte de ses fantasmes associés à ce qui a été vu, honte d’avoir envie d’aller voir ailleurs pour se satisfaire personnellement… La manière de se protéger de ce sentiment si violent qu’est la honte, est la plupart du temps de cacher sa consommation, voire de mentir si on nous demande des comptes. On s’habitue à ne pas tout dire, à garder pour soi une partie de son intimité sexuelle. D’une certaine manière, on est malhonnête avec l’autre parce qu’on lui dit qu’on l’aime totalement, alors qu’on est focalisé intérieurement sur notre sexualité individuelle et avec d’autres personnes…
MCH : Il semble donc que la pornographie provoque une blessure pour le couple. Mais que faire quand on se met en couple avec une personne qui en consomme ? Est-ce un problème pour construire une relation ?
ASP : C’est ici que se pose un second constat problématique, qui est lié notre capacité à nous engager. Pour s’engager véritablement avec quelqu’un, il est nécessaire d’être libre. C’est-à-dire, comme pour tous les autres types de consommation problématique ou d’addictions, d’avoir pris du recul sur notre manière de vivre sans être attaché de manière déréglée à une substance ou à un comportement, ou même à certaines blessures du passé. C’est un sujet essentiel à aborder avant de s’engager réellement avec une personne, parce que si une addiction à la pornographie n’est pas réglée, le fait d’être en couple ne la réglera pas non plus. C’est souvent l’illusion que se font certaines personnes en se mariant : elles se disent que le cadre du mariage les aidera à être fidèle et libre de leur masturbation compulsive. De fait, certaines réussissent pendant quelques semaines voire deux trois mois à gérer leur attitude problématique. Mais chassez le naturel, il revient au galop… A la première difficulté, à la première dispute, c’est-à-dire à la première charge émotionnelle négative puissante… Les habitudes prises avant de s’engager ressortiront. Si c’est ressorti, il peut être bon d’aller voir un spécialiste pour régler le problème avant qu’il ne soit trop profond…
MCH : Vous invitez donc à parler de sexualité et de pornographie avant de s’engager en couple avec quelqu’un ?
ASP : Exactement. C’est un sujet délicat, peut-être pas le premier à aborder quand on apprend à se connaître. Par contre, dans le discernement pour avancer à deux et faire un choix, il sera nécessaire de parler de sa vision de la sexualité… La consommation de pornographie apparaîtra souvent à ce moment-là. En fonction de la manière dont la personne en parle, si elle cherche à être détachée de la pornographie ou si elle en consomme de manière habituelle ne donnera pas le même type de relation de couple, ni de sexualité.
MCH : Pourriez-vous développer la différence de couple et de sexualité que la pornographie apporte ?
ASP : Au-delà de la question de la fidélité et de la confiance blessée, la pornographie introduit dans le couple et dans sa manière de se dire son amour, une forme d’utilitarisme. La sexualité n’a plus l’objectif de se dire réciproquement son amour par nos corps, mais elle vise uniquement la performance sexuelle et le maximum de plaisir. Le plaisir n’est pas un mal, mais se focaliser uniquement sur les nouvelles passes à faire, inspirées par la pornographie, impose l’exigence de répondre aux attentes pornographiques de l’autre, de reproduire par conséquent certaines pratiques visionnées. Or près de 92% des vidéos pornographiques montrent des violences, qu’elles soient verbales ou physiques. Selon les études, ce qui est reproduit est la base malheureusement de comportements de domination, qui permettent de plus en plus d’agressions sexuelles, de viols… Car encore une fois, la sexualité de la pornographie n'est pas là pour dire son amour à l’autre. Elle donne des stéréotypes à notre sexualité, veut « tout, tout de suite et maintenant » et contribue à développer un décalage émotionnel, psychique, et physique entre les personnes qui empêche cette délicatesse qui sait prendre son temps pour laisser le désir grandir et la relation se vivre en profondeur. On le voit d’ailleurs dans les différentes études qui sortent sur la sexualité des Français : ils ont une vie sexuelle moins importante, et plus pauvre. Les sexologues ont remarqué une explosion des problèmes d’érection… Ce n’est pas sans lien avec l’explosion de la consommation de pornographie depuis les années 2000 et l’avènement d’internet et des téléphones portables.
MCH : Auriez-vous un dernier point à nous présenter pour conclure cette problématique sur le couple ?
ASP : J’insisterais sur le fait que la consommation de pornographie éloigne petit à petit de l’autre, en brisant le lien de confiance et d’amour, et en instaurant à la place la loi de la performance et du plaisir comme but unique de la sexualité. Nous sommes faits pour vivre une sexualité pleine et intense, qui respectent toutes nos dimensions, notre intériorité, nos corps… Si certains sentent que la pornographie prend trop de place dans leur vie de couple, je les invite à venir en parler pour essayer de transformer et retrouver le sens profond de leur sexualité.
MCH : Merci beaucoup Anne Sixtine Pérardel pour cet éclairage ! Je rappelle que vous êtes l’auteur du blog Liberté pour aimer.com et du livre Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir aux éditions Artège. Et pour ceux qui voudraient découvrir l’association Déclic – Sortir de la pornosphère qu’Anne-Sixtine a fondé, vous pouvez visiter le site www.assodeclic.com