[PRESSE] Sexualité et tabous, mes réponses à une étudiante en communication

J’ai été heureuse de répondre aux questions d’une étudiante en DUT Information et Communication de l’Université de Franche Compté. Dans le cadre de la production d’un journal, elle et son groupe de travail devait interviewer un professionnel en lien avec le sujet qu’ils avaient approfondi.

Retrouvez mes réponses complètes, et en photos le rendu final de l’article !

1-On peut constater que la sexualité est tabou dans notre société et en particulier la sexualité féminine. On le remarque notamment à travers la masturbation. La masturbation masculine est une chose décomplexée dans notre société alors que la masturbation féminine semble être un mythe. Quel est votre avis sur le sujet ? 

Il y a pour moi un vrai paradoxe : d’un côté notre société est hypersexualisée (publicités, podcasts, magazines, pornographie, réseaux sociaux…). Le « sexe » est partout et omniprésent. De l’autre, la « sexualité » est devenue le sujet dont on arrive le moins à parler de façon objective. Au risque de vous surprendre, je constate comme professionnelle qu’il y a autant de tabou à parler de masturbation masculine que de masturbation féminine. Celle des hommes est perçue comme peut-être plus courante, naturelle, mais ils n’arrivent pour autant pas plus à produire une réflexion construite sur le sujet, ni à en parler ouvertement (et cela peu importe les âges). C’est souvent quelque chose qui leur procure de la honte et un certain malaise. Quant à celle des femmes, l’idée qu’elles puissent avoir du plaisir dans la sexualité semblait incongrue il y a encore quelques dizaines d’années. L’influence du puritanisme, la méconnaissance de ce qu’est une belle sexualité ainsi que la déconsidération du corps au profit de l’intelligence sont pour beaucoup à l’origine de ce que vous appelez un « tabou ». 

2- Selon vous, comment peut-on déconstruire ces tabous ? Quant à l’école, la famille, doivent-ils jouer un rôle ?

Je crois qu’il est urgent de redonner aux parents le sens de leur rôle à jouer sur tous ces sujets liés au corps et à la sexualité. Pour ma part, je travaille dans les établissements scolaires à partir du CM2 pour parler de la puberté. J’aimerais être un tiers pour les parents sur ces thèmes pour n’avoir qu’à compléter les connaissances des enfants sur ces changements du corps si importants et si bouleversants. Mais je remarque une chose : les mamans expliquent à peu près comment « gérer » ses règles à une petite fille, mais la discussion va rarement jusqu’à parler du sens de son corps, du lien à la grossesse, à la sexualité, au respect de soi et au consentement, à la prévention. Je peux affirmer également que 99% des petits garçons ne reçoivent AUCUN REPERE sur les changements qui les affectent à la puberté. C’est pourtant le moment idéal pour parler de la beauté et de la valeur du corps, et du respect que l’on doit à chacun, aux femmes… Pour lever les tabous, je serai d’avis d’accompagner les parents dans leur parentalité pour qu’ils puissent être des adultes aimants et des référents solides sur ces sujets pour leurs enfants ! 

 

3- La pornographie a la réputation d’être très mauvaise dans la construction de la sexualité des jeunes et surtout celle des jeunes filles. Quel est votre avis sur le sujet ? Pensez-vous que la pornographie renforce certains tabous ? (et si oui, pouvez-vous l’illustrer) Selon vous, faut-il l’interdire ou le limiter ou est-ce au contraire un support que l’on doit utiliser et expliquer ?  

La pornographie fait des ravages chez les jeunes. Les statistiques de l’IFOP de 2017 sont éloquentes : plus de 50% des jeunes qui en consomment reconnaissent reproduire ce qu’ils ont vu dans leur propre sexualité. « Reconnaissent ». J’insiste sur ce mot parce qu’en tant que professionnelle, je constate à quel point certains ne mesurent pas que leurs pratiques sexuelles sont influencés dans leur ensemble par la pornographie. J’en veux pour preuve aussi les articles de presse qui signalent des problèmes de violences conjugales chez les jeunes… et la hausse des agressions sexuelles. Cela ne m’étonne pas ! Ils sont biberonnés en moyenne dès 11 ans par des images sexuelles violentes, dégradantes, avec des corps drogués et botoxés. C’est dramatique. Même Macron a parlé de la pornographie comme une violence faite aux enfants.

Malheureusement, je l’avais déjà dénoncé au Parlement Européen en 2019 : au nom de la liberté des adultes, on refuse de prendre des mesures de protection des mineurs… La loi interdit que des mineurs aient accès à des contenus pornographiques. Ce n’est pas pour rien : les enfants et adolescents en pleine croissance n’ont pas la construction psychique suffisante pour traiter l’hyperstimulation provoquée par les images à caractère sexuel. Je fais d’ailleurs souvent le parallèle entre les symptômes d’un abus physique et ceux issus de ce que j’appelle un viol psychique quand des enfants sont confrontés à de la pornographie. Honte, images persistantes, insomnies, dégoût de soi, isolement… C’est pour cette raison que certains tombent extrêmement vite dans la dépendance voire l’addiction : ils retournent chercher du contenu pour essayer de le comprendre, n’y parviennent pas, et s’enfoncent dans leur consommation qui est l’une des plus tabous que j’ai jamais rencontrée et accompagnée… 


4- Y-a t-il des conseils que vous pourriez donner à une jeune fille qui ne se connait pas encore sexuellement (et qui fait face aux tabous)? Et à qui peut-elle s’adresser, si elle a des interrogations ?  

 Le meilleur conseil que je peux lui donner, c’est déjà de prendre le temps de construire sa personnalité ! Je me suis spécialisée sur ce sujet, en publiant notamment mon livre Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir(Artège 2017), parce que j’ai remarqué que les blocages, peurs et difficultés dans la sexualité renvoyaient la plupart du temps à des difficultés personnelles : manque d’estime de soi, complexes, difficultés à communiquer ses besoins et ses émotions… Or tous ces éléments sont absolument fondamentaux pour qu’un consentement réel puisse être donné, notamment dans la sexualité ! Si je me connais et m’apprécie moi-même, alors je vais savoir que je mérite le meilleur et je vais agir en me respectant, et en posant mes limites pour me faire respecter. Ça ne protège pas de tout, mais je peux vous dire que ça change radicalement quand même sa manière de vivre ! Si certaines souhaitent se confier, recevoir des réponses et des conseils, le mieux est d’aller voir un professionnel ! Un médecin traitant ou un gynécologue, un psychologue, une infirmière… NB : je reçois en cabinet à Paris ou en visio. 

 

5- Comment pourrait-on aujourd’hui expliquer ou aborder la sexualité féminine avec nos pairs masculins ? 

Il me semble que les groupes de paroles mixtes sont souvent une source de réflexion profonde pour les garçons, si c’est fait dans un contexte de bienveillance. Aujourd’hui, le féminisme a développé en dénonçant le patriarcat une forme d’agressivité tournée contre tous les hommes de manière général (c’est ainsi qu’ils le vivent). Ce qui a tendance à couper toute forme de dialogue avec des hommes, qui pour la plupart essaient de bien faire, et ne sont en aucun cas des agresseurs potentiels… Pour parler et accompagner les femmes et les hommes dans mon travail, je crois que c’est vraiment dans un contexte de délicatesse que s’expérimente les plus belles discussions et connexions entre eux sur ces sujets si délicats et intimes… A nous d’être créatifs pour permettre ces rencontres !

 
 

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