[PRESSE] Famille et pornographie, quelle prévention ?
J’ai eu la joie d’intervenir pour RCF Savoie début janvier dans le cadre d’une série consacrée à la pornographie.
Retrouvez dans cet article-chronique mes points d’attention pour une éducation affective et sexuelle comprenant une vraie prévention de la pornographie ! On ne pense pas toujours au premier point que j’aborde… et pourtant… il est essentiel !
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Maud Chabert d’Hières : Pour aborder notre thème du jour « Famille et Pornographie », j’ai la joie de recevoir aujourd’hui la conseillère en vie affective et sexuelle Anne-Sixtine Pérardel. Bonjour Anne-Sixtine !
Anne-Sixtine Pérardel : Bonjour Maud !
MCH : Basée à Paris, vous intervenez dans les établissements scolaires de toute la France pour donner des repères aux jeunes sur la construction de sa personnalité, les relations, la sexualité. Vous donnez également des conférences pour les parents et les éducateurs, et êtes l’auteur du livre Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir aux éditions Artège. Vous tenez le blog Liberté Pour Aimer.com et intervenez régulièrement dans les médias pour sensibiliser sur tous ces thèmes qui vous sont chers. Par votre expérience auprès des jeunes mais aussi par vos accompagnements d’adultes en cabinet, vous avez choisi de vous spécialiser sur la sensibilisation des risques liés à la consommation de pornographie. Vous avez fondé il y a un an l’association Déclic - Sortir de la pornosphère, www.assodeclic.com Pourriez-vous nous présenter en quelques mots votre association ?
ASP : Déclic est le fruit de la rencontre il y a trois ans de mon amie Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne spécialisée en addictologie. Chacune de nous deux, dans nos métiers respectifs, nous constations les dégâts liés à la pornographie. Elle, à l’hôpital, et moi dans les écoles et dans mon cabinet. Nous avons tout de suite décidé d’unir nos forces et compétences pour proposer ce qu’il manque aujourd’hui sur ce sujet de la pornographie : un regard professionnel, c’est-à-dire qui prend la pornographie comme un enjeu de santé publique.
MCH : Vous dites que la pornographie est un enjeu de santé publique, mais pensez-vous vraiment que cela concerne tout le monde, toutes les familles ?
ASP : En parlant d’enjeu de santé publique, je garde toujours en tête qu’il existe 800 millions de sites internet pornographiques dans le monde. Il n’y a pas que la France qui doit s’interroger et être sensibilisée sur ce sujet, c’est le monde entier ! 800 millions, cela veut dire que toute personne qui a accès à internet peut tomber dessus. Même si elle n’en a pas l’intention. En ce qui concerne les enfants, la plupart des premières confrontations à la pornographie n’ont pas du tout été choisies. Ils sont tombés dessus « par hasard » via leur téléphone, la tablette ou l’ordinateur des parents, un copain ou un cousin leur a montré sans prévenir…
MCH : Quand je vous ai proposé ce thème « Famille et Pornographie », à quoi avez-vous pensé en premier ?
ASP : Je me suis demandé dans quel ordre j’allais parler des personnes qui composent une famille et la spécificité du lien qu’elles peuvent avoir avec la pornographie et ses conséquences. J’ai commencé à penser aux parents. Une première chose dont je voudrais parler, et qui n’est pas forcément ce que tout le monde a envie d’entendre, c’est qu’il y a des parents qui consomment de la pornographie. On pense souvent à protéger les enfants, à les sensibiliser. Mais je crois que la première étape demande déjà que les parents soient au clair dans leur rapport à ces images… En tant que parents en effet, si vous consommez de la pornographie, votre vision du couple d’abord, mais surtout du corps et de la relation est forcément influencée. Que vous vous en rendiez compte… ou pas ! Or que dit la pornographie ? Elle dit que l’autre et la relation sont faits pour être utilisés pour son propre plaisir. Elle dit aussi que la domination et la violence ne sont pas un problème. Que le corps est un objet de jouissance et non une personne. Les enfants perçoivent, pressentent d’une certaine manière si leurs parents vivent dans une logique pornographique, ou s’ils sont dans une logique d’amour, de respect réciproque… Ils sont comme des éponges, ils ne mettent pas de mots sur ce qu’ils perçoivent mais s’imbibent au quotidien de la manière qu’ont leurs parents de se considérer entre eux. Quand bien même leurs parents leur auraient dit de jolies choses sur le corps et l’amour. Je suis toujours frappée en interventions scolaires de voir à quel point le fait d’être authentique, cohérent, est essentiel pour faire passer un message de prévention.
MCH : Si je comprends bien, vous dites que les parents doivent être des modèles, des exemples pour leurs enfants sur ce sujet ?
ASP : Exactement. Je précise qu’être un modèle ne veut pas dire être parfait, mais être conscient de la responsabilité que j’ai, ici vis-à-vis de mes enfants, et de la puissance de l’influence que je peux avoir sur eux. Lors de mes conférences, j’invite toujours les parents à s’interroger sur leur propre rapport à la sexualité et à la pornographie. C’est parfois la première fois de leur vie qu’ils y réfléchissent. Et si certains se remettent en question, et s’aperçoivent que quelque chose est compliqué, pas tout à fait ajusté à ce niveau-là, alors ils ont la capacité de demander de l’aide. L’idée n’est pas de les juger s’ils en consomment, mais qu’ils puissent comprendre que ce n’est pas anodin pour tenir leur rôle de parents. Vous n’imaginez pas non plus d’un point de vue très pragmatique le nombre d’enfants qui tombent sur des contenus pornographiques qui ont été regardés auparavant par l’un de ses parents, via ce téléphone ou tablette qu’il lui a prêté pour regarder Tchoupi ou Babar…
MCH : La maison est devenue en quelque sorte un lieu de danger. Il y a effectivement une vigilance à avoir. Quand je pense aux parents, je pense aussi au fait que certains découvrent que leur enfant a été confronté à de la pornographie, que ce soit à la maison, à l’école… Que dites-vous à ces parents ? Comment gérer ce genre de situation ?
ASP : On me contacte souvent pour cela. Les parents se sentent démunis, tristes, en colère… C’est souvent un vrai choc pour eux de se rendre compte que ça n’arrive pas qu’aux enfants des autres. Il y a une forme de naïveté aujourd’hui, une forme de déni aussi, sur le fait que nos propres enfants peuvent en consommer. Personne ne souhaite à son enfant de voir des images pornographiques ! Pourtant 1 enfant sur 2 y a été confronté avant 12 ans. Je rappelle donc souvent à ces parents que leurs enfants sont victimes de ces images. C’est ça le plus important à mon avis à garder en tête pour bien savoir gérer si cela arrive à vos enfants. Ils sont victimes. Quand on est victime de quelque chose, on a besoin d’être rassuré, d’entendre une explication, que quelqu’un dénonce le mal qui a été fait. Un enfant a besoin de comprendre ce qu’il s’est passé. Mettre des mots est très importants pour qu’il ne garde pas sous forme de traumatisme les conséquences de ces visionnages.
MCH : Il arrive que ce soit par des cousins, la famille au sens large que cela arrive. Ou encore les amis de l’école. Le risque Zéro n’existe pas. Est-ce qu’il y a des facteurs qui accentuent les risques de consommation chez les enfants ou chez les adultes ?
ASP : Il est certain qu’on ne peut pas mettre nos enfants sous cloche. Je vous parlerai après de deux clés essentielles pour protéger les enfants, mais en ce qui concerne les facteurs qui accentuent les risques, pour les enfants comme pour les adultes, il y a notamment le facteur que j’appellerais « contexte de vie ». Si notre cadre familial est très rigide, dur, intransigeant, met la pression sur la réussite, s’il n’y a pas d’écoute, ou un manque de place pour les émotions… La pornographie, et la masturbation associée avec, seront la voie de secours pour ressentir une forme de détente, de soulagement par rapport à tout ce qui peut être vécu de lourd et de stressant dans ce cadre familial. Je prends souvent cette expression pour faire comprendre les risques et le problème stratégique que pose la pornographie : il y a un vrai besoin de détente par exemple, de repos, de relation. C’est humain de ressentir ce genre de besoin, et c’est aussi absolument nécessaire d’y répondre. La question, c’est par quel moyen ?! Le problème de la pornographie, c’est qu’elle vient y répondre de façon éphémère : elle donne un plaisir immédiat, mais ne prend pas en compte que la personne est plus qu’un sexe à détendre… Là est le piège, et ce qui fait que beaucoup prennent la masturbation et la pornographie comme moyen de réguler leurs émotions, notamment le stress, parce qu’ils n’ont jamais appris à les gérer autrement…
MCH : Si le cadre rigide peut pousser à consommer de la pornographie, est-ce qu’il faudrait ne mettre aucun cadre ? Pour des enfants, cela semble pourtant nécessaires non ?
ASP : Le cadre est vital pour toute personne, enfant comme adulte. A l’inverse du cadre rigide, on s’aperçoit d’ailleurs qu’un univers laxiste, sans cadre, ni règles clairement établies pour dire ce qui est bon et ce qui est mal, a tendance à pousser les explorations sexuelles dans une logique d’ouverture qui aboutit généralement à des dépendances voire addictions parce que tout est possible. La limite permet de se respecter et de respecter les autres… Les problèmes de violences sexuelles, d’incestes et d’abus en tous genres dont les journaux parlent régulièrement sont pour moi clairement liés à une vision de la sexualité laxiste des années 60, qui allait jusqu’à promouvoir la pédophilie, mais surtout à l’expansion d’internet dans les années 2000, qui a démultiplié l’accès aux images pornographies. 1 recherche internet sur 2 est pornographique… Tout est devenu illimité, les pratiques sexuelles violentes ont été banalisées… et les addictions sont de plus en plus répandues.
MCH : Vous parliez de clés pour protéger les enfants ? Qu’est-ce que les parents peuvent faire ou dire pour éviter qu’ils tombent dessus et soient choqués ?
ASP : Je pense que la première étape non négociable est de mettre des filtres sur tous les accès à internet de la maison. La box, les téléphones, l’ordinateur, les tablettes. Sur tout, absolument tout ! C’est la base. Ensuite on discute. Mais si la première étape n’est pas posée, c’est comme si vous attendiez de votre enfant qu’il se contrôle lui-même pour ne pas en regarder, comme un adulte le ferait grâce à sa maturité. Ou pas d’ailleurs… Un enfant ne peut pas se protéger. Ce n’est pas son rôle. Et étant en pleine croissance, il n’en a absolument pas la capacité psychique.
Cela étant posé, je dis souvent que la meilleure des préventions, c’est l’éducation. Qu’est-ce que cela veut dire ? Éduquer c’est transmettre l’ensemble des principes qui permettent à une personnalité de s’édifier petit à petit pour devenir un adulte responsable, c’est-à-dire capable d’assumer les conséquences de ses actes. Éduquer c’est donner des éléments positifs, sur lesquels baser sa vie. Pour contrer la pornographie et l’influence de notre monde hypersexualisé, il s’agit pour les parents d’oser aborder des thèmes comme la puberté, le rapport au corps, à l’estime de soi, suffisamment tôt pour que ce soit leur discours positif qui serve de référence pour comprendre le monde. Aujourd’hui, je suis effarée de constater à quel point les adolescents n’ont reçu pour la plupart aucun repère sur les relations et sur la sexualité. La conséquence de cette absence de parole des parents est flagrante dans les statistiques de l’IFOP de 2017 : la pornographie sert d’éducation sexuelle pour ces jeunes, et près de 50% d’entre eux reproduisent ce qu’ils ont vu dans le porno dans leur propre sexualité…
MCH : c’est donc par l’éducation affective et sexuelle que nos enfants sauront faire face à cette pornopandémie… Merci Anne-Sixtine Pérardel pour cet éclairage et ces clés pour protéger nos enfants de ce fléau. Je rappelle que vous êtes l’auteur du blog Liberté pour aimer.com et du livre Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir aux éditions Artège. Et pour ceux qui voudraient découvrir l’association Déclic – Sortir de la pornosphère qu’Anne-Sixtine a fondé, vous pouvez visiter le site www.assodeclic.com